Mon, 15 Aug 2022 in Linha D'Água
Réduction des constructions du complément infinitif des verbes marquant le déroulement de l’action, des verbes exprimant le refus et des verbes de parole
Résumé
La plupart des variations de constructions qui touchent l’emploi d’un grand nombre de verbes au XVIIe siècle (par exemple, essayer à Inf/essayer de Inf) évoluent vers la fixation dans un seul schéma de complément. Cette étude diachronique examine notamment la régression des variations des verbes marquant le déroulement de l’action, des verbes exprimant le refus et des verbes de parole. Il s’agit de voir à quel point les verbes ont tendance à se stabiliser dans la même construction des verbes de sens proche. Par ailleurs, il est question de rechercher les facteurs historiques et syntaxiques qui favorisent la réduction du nombre des schémas.
Main Text
Introduction
Les constructions du complément d’objet du XVIIe siècle ont évolué vers une normalisation notable à travers la fixation de plusieurs verbes dans un seul schéma; comme par exemple, la concurrence apprendre à Inf/de Inf qui s’est réduite dans le schéma à Inf. En se plaçant après le verbe conjugué, le complément infinitif se présente comme forme nominale du verbe exprimant l’idée de l’action, sans indication de personne ni de nombre.1 La prise en compte de cette relation syntaxique ne suffit pas à éclairer le fonctionnement de la construction de la complémentation infinitive. Celle-ci pose encore de nombreuses difficultés pour les apprenants du français, dans la mesure où la sélection de la préposition à ou de semble souvent arbitraire et dépourvue en surface de toute motivation sémantique ou syntaxique. Ce qui constitue une source d’obstacle freinant considérablement la maîtrise du français, langue seconde ou étrangère.
La variation et le changement dans la construction de l’objet du même verbe est une question qui a été bien illustrée depuis le XVIIe siècle et étudiée suivant deux perspectives distinctes:
D’une part, il est des grammairiens qui se sont employés à sélectionner les différents usages rencontrés et se sont arrêtés sur le plus petit détail pour approuver ou refuser. Pour le français classique, nous pouvons citer les figures les plus notoires de cette tendance comme Vaugelas et ses successeurs (Maupas 1607, Bouhours 1675, Corneille 1687, entre autres). Pour le français contemporain, Grevisse (1936) est le successeur de cette tendance. Le titre de sa grammaire du français Le Bon usage est significatif et retrace nettement l’objectif de son travail. Cet intérêt a extrêmement concouru à mettre en vigueur une sorte de loi avec, dans des cas, une certaine liberté cédée au locuteur.
D’autre part, depuis le début du XVIIe siècle, apparaissent des lexicographes et des grammairiens qui se consacrent à prescrire et décrire tout ce qui est attesté. Les dictionnaires les plus notables de la langue classique sont ceux de Richelet (1680), de Furetière (1690) et de l’Académie française (1694).
Nous nous proposons d’étudier la question selon le rapport qu’entretient le verbe avec son complément (notamment le rôle de l’objet dans la construction du sens du verbe) et de chercher à comprendre les facteurs syntaxiques et sémantiques qui sont à l’origine de la variation du XVIIe siècle et de sa réduction en français contemporain.
Il convient ainsi de déterminer le corpus que nous allons utiliser pour analyser l’emploi des constructions examinées. Nous allons nous référer essentiellement à la base Frantext car les textes qu’elle fournit ne se limitent pas à illustrer le canon littéraire, mais s’étendent également à « représenter l’usage du français écrit dans sa diversité »2.
Dans l’étude de la variation de chaque verbe du corpus, nous allons d’abord essayer de voir, à travers le recours aux dictionnaires qui ont marqué le XVIIe siècle (Richelieu 1680, Furetière 1690, Académie française 1694) ainsi qu’au Dictionnaire de la langue française de Littré (1872-77) qui illustre les emplois et les constructions des mots à partir des textes littéraires des XVIIe et XVIIIe siècles, si les schémas concurrents sont considérés comme des variantes optionnelles, largement équivalentes au XVIIe siècle, ou s’ils présentent une distinction sémantique perceptible. Il s’agit de montrer comment ils peuvent construire une interprétation différentielle du procès verbal.
En outre, nous nous emploierons à dégager la différence découlant des variations à partir des travaux des remarqueurs3 du XVIIe siècle. Ceux-ci ont posé des règles permettant d’établir une distinction sémantique et une régularité dans l’emploi des constructions à travers le refus, l’acceptation ou encore la recommandation d’une construction aux dépens d’une autre. Ce qui a donné lieu à des consignes souvent contradictoires.
Ensuite, nous allons nous référer aux exemples littéraires du XVIIe siècle pour voir si les distinctions établies par les remarqueurs et les lexicographes sont prouvées ou démenties par l’usage des écrivains.
Nous allons enfin identifier les schémas de complément dans lesquels se fixent les verbes en français contemporain. Nous tenterons de voir à quel point la réduction de la variation des schémas du complément du même verbe se réalise à travers la fixation dans le schéma des verbes de sens voisin. Pour ce faire, nous allons relever les verbes qui connaissent une coexistence de constructions au XVIIe siècle et nous allons les rassembler dans des classes sémantiques afin de les unir en groupes significatifs dont on tentera de cerner les caractéristiques; et de rechercher une explication à leur fixation dans un seul schéma de complément. Nous aurons à examiner les concurrences entre les constructions de complément des verbes marquant le déroulement de l’action, des verbes exprimant le refus et des verbes de parole.
1 Verbes exprimant le déroulement d’un procès
Le déroulement de l’action s’exprime par les verbes ou les semi-auxiliaires qui introduisent un infinitif en marquant une valeur temporelle ou une valeur aspectuelle.
La valeur temporelle situe l’action de l’infinitif dans la chronologie, par rapport au moment de l’énonciation. Elle peut indiquer soit l’imminence de l’action, par exemple: s’apprêter à Inf, s’aventurer à Inf, se préparer à Inf, se presser de Inf, etc.; soit le passé récent, comme par exemple: venir de Inf.
Quant à la valeur aspectuelle, elle envisage l’action de l’infinitif dans son déroulement. Elle peut alors marquer l’aspect inchoatif4 (le début de l’action), comme: commencer à Inf, se mettre à Inf, etc.; ou l’aspect duratif5 (la durée de l’action), comme: continuer à Inf, persister à Inf, s’entêter à Inf, etc.; ou encore l’aspect terminatif6 (la fin de l’action), comme: cesser de Inf, finir de Inf, terminer de Inf, etc.
Nous avons repéré trois verbes exprimant le déroulement d’un procès qui acceptent au XVIIe siècle deux schémas:
Un verbe marquant le futur proche: hésiter à Inf/de Inf.
Un verbe semi-auxiliaire marquant l’aspect inchoatif: commencer à Inf/de Inf.
Un verbe semi-auxiliaire marquant l’aspect duratif: continuer à Inf/de Inf.
Le verbe hésiter présente en français classique une concurrence entre les deux schémas d’infinitif complément d’objet indirect à Inf/de Inf, avec un emploi plus saillant de la variante à Inf. Celle-ci est citée dans le dictionnaire de Richelet (1680) comme seule construction d’infinitif complément du verbe hésiter: « Hésiter à prendre parti ».7 D’après Littré (1877): «Avec un infinitif, on dit habituellement au XVIIe siècle hésiter à; mais hésiter de est correct aussi ».8
Dans les textes du XVIIe siècle, le schéma de Inf (ex. 1 et 3) se rencontre beaucoup moins fréquemment que le schéma à Inf (ex. 2).
(1) « Hésiter d'obéir, tarder à obéir, remettre à obéir, c'est faire l'oeuvre de Dieu avec négligence. » (Bourdaloue, obéîssance religieuse, Ch. 13, P. 1)-1666
(2) « Lycas hésite à se battre. » (Molière, Pastorale comique, I, 7)-1666
(3) « Ils n'hésitent pas de critiquer des choses qui sont parfaites. » (La Bruyère, Les Caractères, Ch. XI)-1687
Le schéma de Inf finit par être abandonné en français contemporain pour céder la place au schéma à Inf (ex. 4 et 5):
(4) « Vous avez beaucoup hésité à raconter vos souvenirs: “ Mes souvenirs ne m’appartiennent pas ”, disiez-vous. » (Signoret, La Nostalgie n’est plus ce qu’elle était, 1, p. 13)-1976
(5) « Il a toujours prétendu que s’il avait vu Manèges avant de me rencontrer, il aurait beaucoup hésité à tomber amoureux de cette « salope ». » (op. cit., 5, p. 104)-1976
Cette stabilisation suit la construction d’autres verbes marquant l’imminence de l’action, comme:
S’apprêter à
S’aventurer à
Répugner à
Se disposer à
Se préparer à
Tarder à
Le sens de ces verbes correspond au sens de la préposition à qui marque la prospection.9 Dans le même groupe, nous identifions cependant:
Se dépêcher de Inf
Se hâter de Inf
Se presser de Inf
Les irrégularités que présente la construction de la complémentation de ces verbes sont justifiables. En effet, ils s’emploient dans le schéma de complément de Inf parce que le procès exprimé par l’infinitif est considéré en quelque sorte à partir de son terme; « comme s’il était en voie d’achèvement, on envisage nettement le procès comme terminé »:10
Dépêchez-vous de sortir de la maison.
Presse-toi de les aider.
En ce qui concerne les semi-auxiliaires commencer et continuer, ils se rencontrent dans les textes du XVIIe siècle dans les deux schémas à Inf et de Inf. Les constructions commencer à Inf/de Inf sont mentionnées dans le dictionnaire de l’Académie française de 1694 comme ayant des emplois usuels à partir desquels découle une nuance sémantique:
Commencer à désigne une action qui aura du progrès, de l'accroissement. Cet enfant commence à parler, à lire, à écrire. Ses nuits sont plus calmes, il commence à dormir un peu. Je commence à comprendre. Son orgueil commence à déplaire. La dispute commençait à s'échauffer. Commencer de désigne une action qui aura de la durée. Lorsqu'il commença de parler, chacun se tut pour l'écouter. Je commençais à peine de dormir, quand ce bruit me réveilla. On dit quelquefois Commencer à. Commençons à dîner. Ils commencèrent à jouer, etc. (ACADEMIE FRANCAISE, 1694, p. 213.)
Nous observons à partir de cette citation qu’en employant l’adverbe quelquefois, l’Académie française reconnaît que la distinction n’est pas entièrement pertinente. En outre, nous remarquons qu’il est d’autres grammairiens qui ont adopté une distinction différente contredisant totalement cette interprétation, ce qui remet en question l’existence d’une différenciation sémantique: « Cet enfant commence à marcher signifie que l'enfant prend l'habitude de faire des pas. Cet enfant commence de marcher signifie que l'enfant, qui était immobile, se met à faire des pas. ».11
Pour les deux constructions du semi-auxiliaire continuer, Laveaux (1648) propose une distinction basée sur la conception abstraite de à et de: « à indique une intention dirigée vers un but, et de s’utilise quand rien n'indique un but, une intention ».12 Selon Littré (1872), cette analyse « n’est pas fondée sur les exemples des auteurs qui usent, ou indifféremment ou suivant l'oreille, des deux prépositions ».13
L’Académie française (1694) établit une différenciation de sens dictée par la valeur sémantique de la préposition à, qui exprime primitivement un mouvement allant de l’avant:
On doit se servir de continuer à quand il s'agit d'une action commencée et que l'on continue, et de continuer de quand il s'agit d'une action qu'on a l'habitude de faire. Cet homme, tenant son verre, continue à boire; c'est-à-dire il achève ce qu'il avait commencé; mais Cet homme est un ivrogne, et, malgré ses promesses, il continue de boire, c'est-à-dire il persiste dans ses habitudes d'ivrognerie. (ACADEMIE FRANCAISE, 1694, p. 241.)
Il est évident que les différentes distinctions formulées par les grammairiens sont très minimes et ne peuvent pas être prises en compte dans l’usage de la langue. Fournier (1998), qui se prononce sur ce point, affirme que ces oppositions sémantiques « ne sont pas toujours nettement perceptibles ».14 Ainsi les schémas à Inf et de Inf ne présentent aucune nuance de sens: les constructions commencer à Inf (ex. 6 et 7)/commencer de Inf (ex. 8 et 9) et les constructions continuer à Inf (ex. 10 et 11)/continuer de Inf (ex. 12 et 13) expriment respectivement l’acte d’accomplir la première phase d’une opération et l’acte d’assurer la suite d’une opération.
(6) « C’est ici qu’il faut commencer à contempler Jésus-Christ dans sa Passion douloureuse, et à voir couler ce sang précieux de la nouvelle alliance, par lequel nous avons été rattachés. » (Bossuet, Sermon sur la Passion, p. 252)-1662
(7) « Quand Mme de Clèves voulut commencer à se souvenir de la lettre et à l’écrire, ce prince, au lieu de lui aider sérieusement, ne faisait que l’interrompre et lui dire des choses plaisantes. » (La Fayette, La Princesse de Clèves, T. 3, p. 410)-1678
(8) « J'ay cru que j'étois fous, je commence de vivre. » (Du Lorens, Satires de Dulorens, 16, p. 137)-1646
(9) « Et déjà mon rival commence de paroître. » (Molière, Dom Garcie de Navarre, V, 3)-1661
(10) « Qu’importe que César continue à nous croire, Pourvu que nos conseils ne tendent qu’à sa gloire. » (Racine, Britnnicus, I, 2)-1697
(11) « Stéphanie s’en va, et Marcelle continue à parler à Valens. » (Corneille, Théodore, I, 4)-1682
(12) « Mais les choses n’en sont plus en ces termes-là, je suis libre de toutes façons; soyez-le de même, si vous voulez que je continue de recevoir vos visites. » (Scudéry, Mathilde, p. 188)-1667
(13) « Dom Juan continue de le repousser. » (Molière, Dom Juan, II, 3)-1673
Cette coexistence est examinée par plusieurs remarqueurs:
Bouhours (1675) recommande d’employer librement les deux constructions commencer à Inf/de Inf: « J’avoue que j’ai cru longtemps que c’était une faute de dire, il commence de se bien porter. Mais j’avoue aussi que j’ai changé de sentiment, en lisant plusieurs bons livres de notre langue, où j’ai trouvé commencer de ».15 Ici l’avis exprimé ne consiste pas à contredire l’usage des écrivains, mais plutôt à le suivre. Corneille (1687) approuve aussi la coexistence de ces deux constructions, mais il recommande l’emploi du schéma de Inf dans le cas où la juxtaposition de deux a engendre une cacophonie: « Il ne faut donc point faire de scrupule de se servir de l’un et de l’autre (commencer à/de), particulièrement afin d’éviter la cacophonie des deux a qui se rencontrent dans, Il commença à parler fièrement. Surtout, je ne voudrais jamais dire, Il commença à avouer ».16
Bouhours (1687) présente la même prescription dans son commentaire sur l’emploi du semi-auxiliaire continuer en citant les énoncés suivants: « Apollon sourit de la vision de ce poète, qui voulait continuer à lui débiter ses extravagances. Quand il vit que personne ne paraissait, il continua de faire la guerre./Orphée le pria de continuer à lui apprendre ce qu’il en savait ».17
Cette règle régie par des exigences phoniques subtiles ne s’est pas intégrée dans l’usage du français contemporain qui évolue vers l’abandon du schéma de Inf. Celui-ci a tendance à s’employer avec le semi-auxiliaire commencer « beaucoup plus dans le langage soigné que dans le langage usuel ou familier. Commencer à Inf est 4 à 5 fois plus fréquent que commencer de Inf » 18. Et pour le semi-auxiliaire continuer, la variation présente un emploi un peu plus récurrent du schéma à Inf par rapport au schéma de Inf, environ 60 % contre 40 %. 19 Ainsi on s’aperçoit que dans les textes littéraires, les écrivains recourent plus fréquemment à la construction à Infinitif: commencer à Infinitif (14), commencer de Infinitif (15), continuer à Infinitif (16) et continuer de Infinitif (17).
(14) « En fait, j’aurais pu aussi bien commencer à vous raconter mon histoire en vous disant: « Je suis née, ou plutôt, ce que je suis aujourd’hui ». » (Signoret, La nostalgie n’est plus ce qu’elle était., 3, p. 57) - 1976
(15) « C’est lorsque nous fûmes sur la plage que j’ai commencé de penser à elle. » (Déon, Le Rendez-vous de Patmos, p. 184) - 1965
(16) « Faut croire que même dans les moments les plus ardus, ceux qui emplissent la tête et ne laissent plus une seule case de libre, il y a quand même une partie du cerveau qui continue à réfléchir, analyser, soupeser, calculer. » (Pouy, La Clef des mensonges, p. 39) - 1988
(17) « C’était un peu comme si elle eût continué de vivre à cette époque-là. » (Clavel, Cœur égaré, II, 23, p. 108) - 1964
La tendance de ces deux semi-auxiliaires à se fixer dans le schéma à Inf se conforme à la construction des semi-auxiliaires situant l’action dans le même stade du déroulement du procès:
→Commencer
La construction commencer à suit la construction des semi-auxiliaires marquant l’aspect inchoatif: s’arrêter à Inf, s’attarder à Inf, se (re) mettre à Inf, se (re) prendre à Inf et venir à Inf.
L’opposition de sens qui découle des deux constructions venir à Inf/venir de Inf souligne davantage l’existence d’une motivation sémantique dans l’emploi des prépositions à et de avec les verbes exprimant le déroulement de l’action:
Venir à Inf indique que le procès de l’infinitif commence: La pluie vient à tomber.
Venir de Inf indique que le procès de l’infinitif s’est achevé très récemment: Il vient d’arriver.
Par ailleurs, nous remarquons que les semi-auxiliaires exprimant le passé récent se trouvent construits avec de: achever de Inf, (s’) arrêter de Inf, cesser de Inf, finir de Inf et terminer de Inf.
→Continuer
La construction continuer à suit la construction des semi-auxiliaires exprimant l’aspect duratif: persister à Inf, s’entêter à Inf et s’obstiner à Inf.
L’action qui est en train de se réaliser est une action qui présente successivement un nouveau commencement. Ainsi il est d’autres verbes avec lesquels l’emploi de la préposition à sert à exprimer le déroulement de l’action:
Je l’ai pris à voler un pot de confitures
Il a pincé Pierre à regarder par le trou de la serrure
J’ai surpris Marie à pleurer sous le saule
Tiens, je t’attrape à voler des gâteaux!
Il s’est fait piquer à fumer dans le couloir
Ils sont tous là à rêver
2 Verbes exprimant le refus
Au XVIIe siècle, le verbe refuser accepte deux schémas d’infinitif complément d’objet direct:
Refuser (à Nom) à Infinitif (ex. 18, 19 et 20)
Refuser (à Nom) de Infinitif (ex. 21, 22 et 23)
(18) « Mais inhumain qu’il est, aveugle volontaire, il refuse à me voir. » (Schélandre, Tyr., I, 1)-1608
(19) « Mais apres tant de maux et d’outrages souffers, Le destin nous refuse à sortir de nos fers. » (Pichou, L’Infidèle Confidente, III, 4)-1631
(20) « Ne crains pas qu’il refuse à s’ouvrir avec toy; Il sçait trop quels secrets je confie à ta foy. » (Corneille, Stilicon, II, 3)-1660
(21) « Qui peut donc refuser à ces célestes lumières de les croire et de les adorer. » (Pascal, Pensées, p. 147)-1662
(22) « Est-il aucun flatteur, Seigneur, qui lui refuse De lui prêter un crime et lui faire une excuse? » (Corneille, Suréna, V, 3)-1674
(23) « Quoi donc! Répondit Télémaque, pouvois-je refuser à Calypso de lui raconter mes malheurs? » (Fénelon, Télémaque, t. 1, 4, p. 146)-1699
La variation régresse en français contemporain en se stabilisant dans le schéma introduit par l’indice d’infinitif de (ex. 24 et 25).
(24) « Et le marin communiste Henri Martin était en prison à Melun pour avoir refusé de pointer les canons de son bateau dans une direction qui n’était pas celle pour laquelle il s’était engagé vonlontaire en 1944. » (Signoret, La Nostalgie n’est plus ce qu’elle était, 6, p. 116)-1976
(25) « Henri a été emprisonné pour avoir refusé de se battre en Indochine. » (op. cit., p. 441.)-1976
Cette fixation suit le même schéma des verbes exprimant le refus et se construisant avec un infinitif complément d’objet direct:
Je lui interdis de Inf
Je lui prescris de Inf
Je lui réplique de Inf
Je lui reproche de Inf
On s’aperçoit que le verbe permettre qui constitue un verbe antonyme du verbe refuser connaît la même évolution, dans la mesure où il présente en français classique une concurrence entre les deux schémas d’infinitif complément d’objet direct Ø Inf (ex. 26 et 27) et de Inf (ex. 28 et 29) qui se réduit en français contemporain dans le schéma de Inf.
(26) « Ainsi par artifice l’esprit de l’homme supplée à un besoin au défaut des poules: pouvant par ce moyen faire sans elles en tout temps, ce qu’en un certain seulement Nature nous permet faire avec elles. » (Serres, Le Théâtre d’agriculture, t. 1, Ch. 2)-1603
(27) « Ta vertu.... te permet écouter les chansons. » (Régnier, Les Satires. VI)-1608
(28) « Icy le Ciel touché de mes justes douleurs Me permet de me plaindre et de verser des pleurs. » (Mairet, Chrys., II, 1, p. 65)-1630
(29) « Je viens vous avertir que tantôt sur le soir Ma maîtresse au jardin vous permet de la voir. » (Molière, Le Dépit amoureux, I, 6)-1663
Ici la stabilisation ne se conforme pas au sens du verbe, mais plutôt à la tendance des verbes introduisant un infinitif complément d’objet direct à évoluer vers la fixation dans la construction de complément introduite par l’indice d’infinitif de, comme par exemple:
Je lui propose de Inf,
Je lui répète de Inf,
Je lui réponds de Inf, etc.
3 Verbes de parole
Les verbes de parole sont les verbes qui signalent que quelqu’un produit des énoncés tout en exprimant une modalité apportant des précisions sur la manière dont le locuteur parle. Cette modalité peut marquer la prise de la parole, exprimée par les verbes attester, déclarer, dire, etc.; ou l’assertion positive, exprimée par les verbes affirmer, confirmer, soutenir, etc.; ou bien l’assertion négative, exprimée par les verbes contester, démentir, nier, etc.
Un certain nombre de ces verbes présentent au XVIIe siècle une coexistence de deux constructions d’infinitif complément d’objet direct, nous en avons relevé quatre:
Avouer Ø Inf/de Inf
Confesser Ø Inf/de Inf
Reconnaître Ø Inf/de Inf
Témoigner Ø Inf/de Inf
Cette variation connaît au XVIIe siècle une régression sensible de l’emploi du schéma de Inf. Furetière (1690) qui enregistre les constructions saillantes du siècle ne donne que la construction Ø Inf:
Littré (1877) note que les variantes des verbes reconnaître et témoigner s’emploient au XVIIe siècle pour exprimer le même sens: « On dit reconnaître de, avec un infinitif ou on supprime la préposition de ».23/« Témoigner de, avec l’infinitif, Témoigner, avec l’infinitif sans de signifient: marquer, faire connaître ».24
Dans les textes, l’usage de de se rencontre d’une façon peu récurrente:
(30) « A qui voudrons-nous devoir l’âme et la vie, si nous n’avouons pas de la tenir de ceux à qui nous la demandons tous les jours? » (Malherbe, Traité des Bienfaits, II, 44) -1628
(31) « Que ceux qui se sont trompez pour le fonds de la doctrine ne se contentent pas de condamner l’erreur, mais qu’ils avouent de l’avoir crue; qu’ils rendent gloire à Dieu; qu’ils n’ayent aucune honte d’avoir erré ce qui est le partage naturel de l’homme. » (Fénelon, Explications des Maximes des saints, p. 102) - 1697
(32) « Je sçay qu’il n’est rien de si naturel; que le vivre n’est pas plus ordinaire que le mourir: et que tant s’en faut que je m’en estonne, que je confesse de l’avoir desirée avec moins d’appréhension que d’impatience. » (Audiguier, Etude historique et littéraire, 4, p. 144) -1615
(33) « Le bon chelme me respondit à cela qu’il avoit promis à confesser de ne celer jamais la verité. » (Tristan, Pierrot, II, Ch. 24, p. 310) -1667
(34) « Ce fut une chose fort touchante, quand elle fit écrire à M. du Gué pour lui recommander M. de Coulanges, et cela par conscience et par justice, reconnaissant de l'avoir ruiné » (Sévigné, Lettre de Mme Sévigné à Mme de Grignam, 544) -1676
(35) « Quelque promesse alors qu'il eût faite à la mère De remettre ses fils au trône de leur père, Il témoigna si peu de la vouloir tenir, Qu'elle n'osa jamais les faire revenir. » (Corneille, Rodogune, I, 1) -1647
(36) « Quand je fus seul avec mon ami, je lui témoignai d'être étonné du renversement que cette doctrine apportait dans la morale » (Pascal, Les Provinciales, IV) -1657
Ces exemples illustrent les derniers emplois du schéma de Inf: avouer de Inf (ex. 30 et 31), confesser de Inf (ex. 32 et 33), reconnaître de Inf (ex. 34) et témoigner de Inf (ex. 35 et 36).
(37) « J’avoue avoir aymé un berger, mais je diray bien, avec vérité, de n’avoir jamais eu tant de contentement de parler à luy. » (Urfé., L’Astrée, p. 43) -1627
(38) « Dom Phèdre (...) la pria de vouloir prendre l’administration de tout son bien et de recevoir chez elle une petite fille qu’il luy avoua estre à luy de n’espargner rien pour son éducation. » (Scarron, Les Nouvelles Tragi-Comiques, I, p. 41) - 1661
(39) « Sur ce point, nous despeschames ce maistre Aliborum du Fay, instrument et trompé, comme il a paru par son testament, auquel il a confessé avoir trahi le parti de Dieu, pour faire sa fortune. » (Aubigné, La Confession Catholique, L. 2, Ch. 4, p. 331) -1630
(40) « Le remede à cela, c’est d’estre peu sensible, avec les sots vivans il faut faire le mort; pour ce j’en dy ma coulpe et confesse avoir tort. » (Du Lorens, Les Saires, 26, p. 225) -1646
(41) « Je reconnais avoir reçu.... Puisque vous reconnaissez ce défaut être une source de discorde (Bossuet, Les Sermons, IIe exhortation) -1772
(42) « La reine ne me témoigna pas désirer rien de moi de plus que ce que j'avais fait » (La Rochefoucauld, Mémoires, 13) -1662
(43) « Il témoigne concevoir pour lui une affection particulière » (Bourdaloue, La Pensée de la mort, t.3) -1668
Les verbes avouer (ex. 37 et 38), confesser (ex. 39 et 40), reconnaître (ex. 41) et témoigner (ex. 42 et 43) introduisent leur complément infinitif dans ces exemples sans l’indice de l’infinitif de: Ø Inf. Cette variante est celle que le français contemporain conserve comme seule construction de complément infinitif de ces verbes: avouer Ø Inf (ex. 44), confesser Ø Inf (ex. 45), reconnaître Ø Inf (ex. 46) et témoigner Ø Inf (ex. 47).
(44) « Je lui avais deux fois avoué aimer une autre femme, une fois Andrée, une autre fois une personne mystérieuse, les deux fois où la jalousie m’avait rendu de l’amour pour Albertine. » (Proust, A la Recherche du temps perdu, 16, L p. 347) - 1922
(45) « Imina pourtant m’a confessé avoir souvent mangé en cachette du lièvre et des œufs qui lui étaient interdits. » (Malaurie, Les derniers rois du thulé, Ch. VI, p. 402) -1955
(46) « Il m’a signé un petit contrat par lequel il reconnaît être le propriétaire du "Zadig” et l’avoir introduit dans le collège. » (Chandernagor, L’Enfant des Lumières, 25, p. 285) - 1995
(47) « Si la parente est ennuyeuse, désagréable, cessez de la voir par degrés; allez souvent à votre campagne; soyez sorti; mais quand vous la rencontrerez, témoignez toujours être désespéré. » (Balzac, Œuvres diverses, t. 1, p. 99) -182525
Ce schéma se conforme au schéma du verbe dire qui est le verbe de parole le plus usité et qui introduit son complément infinitif directement (Exemple: Il dit aimer quelqu’un.).26 Selon Réquédat (1981, p. 73), l’emploi des verbes de parole dans la construction transitive directe pourrait être dû à leur usage récurrent avec une proposition complétive, qui les suit directement:
Il a avoué avoir tué son ami→Il a avoué qu’il avait tué son ami.
Il a confessé avoir commis un crime→Il a confessé qu’il avait commis un crime.
Il a reconnu ne pas avoir raison→Il a reconnu qu’il n’avait pas raison.
Il a témoigné avoir vu le criminel→Il a témoigné qu’il avait vu le criminel.
Conclusion
Nous venons d’analyser la fixation d’un groupe de verbes avec telle préposition et non pas avec une autre en rapport avec les constructions des verbes de sens voisin.
Nous avons étudié les emplois des verbes suivant trois classes sémantiques: verbes marquant le déroulement de l’action, verbes exprimant le refus et verbes de parole.
Nous avons relevé à partir des verbes exprimant le déroulement du procès trois verbes connaissant une régression de la variation des schémas: le verbe hésiter et les verbes semi-auxiliaires commencer et continuer.
La fixation de la variation hésiter à Inf/de Inf dans le schéma hésiter à Inf se conforme à la construction des verbes marquant l’imminence de l’action, comme s’apprêter à, s’aventurer à, se disposer à, se préparer à et tarder à.
La variation des schémas des verbes semi-auxiliaires commencer et continuer (à Inf/de Inf) tend à se stabiliser dans le schéma à Inf. La construction commencer à Inf suit la construction des semi-auxiliaires marquant l’aspect inchoatif: s’arrêter à Inf, s’attarder à Inf, se (re) mettre à Inf, se (re) prendre à Inf et venir à Inf. Et la construction continuer à Inf suit la construction des semi-auxiliaires exprimant l’aspect duratif: persister à Inf, s’entêter à Inf et s’obstiner à Inf.
Par ailleurs, nous avons étudié l’évolution des constructions du complément infinitif des verbes exprimant le refus. Nous avons vu que la réduction de la variation V (à N) à Inf/V (à N) de Inf dans le schéma introduit par la préposition de se conforme au schéma des autres verbes de sens proche, comme interdire, prescrire, répliquer et reprocher.
La variation Ø Inf/de Inf touchant l’emploi des verbes de parole avouer, confesser, reconnaître et témoigner en français classique se fixe en français contemporain dans le schéma Ø Inf. Celui-ci se conforme au modèle du schéma du verbe dire (dire Ø Inf). Nous avons vu que la fixation dans ce schéma pourrait aussi provenir de l’usage fréquent des verbes de parole avec une proposition complétive qui les suit directement.
Nous voyons ainsi que l’emploi du complément d’objet évolue de plus en plus vers une régularité de constructions basée sur le sens des verbes et des prépositions à et de. La réalisation d’une étude diachronique des schémas de la complémentation verbale suivant une approche de classification sémantique nous a permis de clarifier dans une large mesure la manière dont évolue le système d’un groupe de constructions du français.
Résumé
Main Text
Introduction
1 Verbes exprimant le déroulement d’un procès
→Commencer
→Continuer
2 Verbes exprimant le refus
3 Verbes de parole
Conclusion